LE GRAND ŒUVRE

 

 

 

UN CENACLE

 

Les 12 musiciens se sont attachés une fois de plus, dans ce 12ème Festival à la cohérence. Quelle prière unanime, quelle démarche pour nous emmener loin de notre triste terre par des chemins détournés, jusqu’à « L’enchantement du Vendredi Saint », dans une sorte d’adieu à la séparation annuelle et le recueillement.

 

Nos « pointures » nous ont particulièrement gâtés et surpris, dans la découverte de musiciens méconnus pour quelques uns, ou dans les frivolités, mais toujours avec talent. Quelle belle équipe, et, avec les « petits nouveaux », quelle bonne surprise. Leur intégration dans la cohésion au sein de « la Table Ronde », nous les fit découvrir.

 

Les lumières, les couleurs, les fondus, les impressions que j’aime et que j’avais trouvés quelques jours avant en visitant l’exposition sur le peintre Turner à Aix en Provence se sont poursuivis dans l’expression de la Musique. Cette année, une musique très attachée aux images.

 

Je ne peux vous parler de la première soirée, je n’étais pas excusable (problèmes gastriques), je le regrette, car j’ai eu quelques échos positifs et enthousiastes, au sujet de cet amalgame classique-jazz, comme quoi, toutes bonnes musiques peuvent se compléter, le langage est universel.

 

LE SALON DE MARCEL PROUST

 

Avant de parler de la musique que Proust écoutait dans les salons parisiens, où il était de bon ton de paraître, chez la Comtesse Greffulhe (Madame de Guermantes) ou chez des parvenus comme chez « Madame Verdurin », personnes qui recevaient le « Tout Paris ». On ne peut parler de la « Recherche… » en ignorant la fameuse « Sonate de Vinteuil » et la « petite phrase » qui revient comme un leitmotiv (1) à Swann et Odette. Elle reste une énigme, et plusieurs musiciens de l’époque ont été cités comme les auteurs de ce trait musical.

 

Il me faut citer le texte écrit par Proust lui-même, pour nous éclairer sur le contenu de cette sonate :

«  Le beau dialogue que Swann entendit entre le piano et le violon au commencement du dernier morceau…. , d’abord le piano solitaire se plaignit comme un oiseau abandonné de sa compagne ; le violon l’entendit, lui répondit comme d’un arbre voisin. C’était comme au commencement du monde, comme s’il n’y avait encore eu qu’eux deux sur le terre, ou plutôt dans ce monde fermé à tout le reste, construit par la logique d’un créateur et où ils ne seraient jamais que tous les deux. »

 

Je me dois de continuer en citant l’auteur d’une biographie sur César Franck, Jean-Marie Fauquet.

 

« Des phrases qui chantent à l’égal de la plus belle musique. Mystère d’une transmutation qui a rendu la sonate de Vinteuil aussi célèbre….. La sonate pour piano et violon de Franck que George Enesco et Paul Goldschmidt révélèrent à Proust, un soir d’Avril 1913, chez Madame de Saint-Euverte, comme étant plus nécessaire que jamais. »

 

L’auteur continue : « Mais ce beau dialogue entendu par Swann, Proust l’atteste, est le canon du final de la sonate franckienne. Précision un peu dérisoire en vérité, quand on sait que cette sonate de

 

 Vinteuil-Franck, réductible à une « petit phrase, possède le pouvoir de régler le temps du bonheur et celui de la souffrance, et permet à Swann de retrouver l’intensité fusionnelle de son amour….. »

 

La musique de Franck était pour Proust un viatique. En Mai 1905,il demande : « L’insuccès ne serait-il pas que le stage nécessaire que doit faire la lumière avant de frapper les yeux qui ne sont pas adaptés. La question formulée par Proust est en réalité une réponse à Louise Cruppi qui vient de publier un roman, dans lequel, l’ancêtre involontaire de « Vinteuil », « Edouard Dank », l’assonance  des prénom et nom trahit le modèle.

 

Proust ajoute : « Cette sonate que j’aime tant » jouée par Enesco (….) les pépiements de son violon, les gémissants appels, répondaient au piano, comme d’un arbre, comme d’une feuillée mystérieuse. » Proust sait défendre ce qu’il aime.

 

La paternité de cette œuvre a été attribuée à d’autres musiciens tels que Saint-Saens, Fauré, Magnard et même Wagner !!! Ceci a été précisé lors du concert de Vendredi.

 

Introduction et rondo capriccioso de Saint-Saëns (1867) :

 

Œuvre connue de tous les violonistes solistes car très virtuose. Il en existe deux versions, l’une avec accompagnement de piano, l’autre avec orchestre. Elle réclame de la part de l’interprète une excellente technique pour obtenir un beau phrasé du son. Une première partie introductive, modérée, par le violon reprise par le piano, un point d’interrogation du violon, pour relier cette première phrase avec la seconde beaucoup plus virtuose. C’est un dialogue entres les deux instrumentistes, avec de plus en plus de virtuosité (exemple, le violon exécute du « double corde »). L’œuvre se termine dans une mini cadence (improvisation) suivie d’une coda brillante (phrase conclusive) des deux protagonistes.

 

Saint-Saëns a écrit cette œuvre pour un de ses contemporains violoniste virtuose et compositeur, l’espagnol Pablo de Sarasate (1844-1908). L’œuvre la plus connue de cet auteur sont « Les airs bohémiens » (pour violon accompagné d’un piano ou d’un orchestre), à écouter absolument par ceux qui aiment la musique romantique, solaire et qui décoiffe.

 

Belle prestation de Nicolas qui a ajouté de sa personnalité en nuançant le phrasé de rubato (variation de vitesse à l’inspiration, parfois légèrement décalée).

 

 « Der Wind » (Le Vent) de Franz Schreker

 

Rappelle « La Mer » de Debussy, avec ses frémissements, ses frissonnements et ses irisations au ras de l’eau, jeux de vaguelettes qui s’en viennent mourir sur une grève immense, calme et lisse. Le ciel se confond avec la mer comme dans une aquarelle de Whistler.

 

La marée monte, et les vagues dans de légères ondulations, meurent contre les rochers affleurant en formant de petites cascades, gouttant sur les algues qui les tapissent. Pour illustrer cette presque immobilité, le piano ressasse une phrase de cinq notes soutenue par la clarinette.

 

Le vent s’élève, non pas furieux. Il forme des vagues qui vont se briser sur les écueils rocheux. Elles dégoulinent en écume blanche par les interstices, pour retrouver leur calme en se retirant, pour se perdre mieux dans le prochain assaut déferlant.

 

Quelques ondulations, au loin. Le ciel et la mer se retrouve en amour.

 

Schrecker : Le compositeur, dans une grande partie de son œuvre rejoint les « impressionnistes » comme Debussy dans la Symphonie de chambre pour 23 instruments, avec quelques accents de Chausson, ou dans « Schwanengesang » qui rappelle « Sirènes » des trois nocturnes pour orchestre de Debussy.

 

Référence : Ecouter « La Mer » de Claude Debussy, et comparer le troisième mouvement, « le dialogue du vent et de la mer », ainsi que « Les Nocturnes pour orchestre » dont « Sirènes ». Une très bonne version, celle de Claudio Abbado.

 

« L’enchantement du Vendredi Saint » de  Wagner

 

Tirer de « Parsifal », opéra et livret de Richard Wagner d’après Chrétien de Troyes et de Wolfram von Eisenbach.

 

En fait, ce que nous avons entendu, dans l’arrangement d’Yves Marie, ne représente qu’une partie de cette scène.

 

Moment de longue méditation, introduit par la clarinette sur fond de cordes, avec un appel de cor. Les phrases jouées habituellement par la « petite harmonie » (désigne l’ensemble des instruments à vent- clarinette, basson, cor anglais, hautbois et flute) sont reprises par les cordes sur le thème de la clarinette. Le hautbois et la flute sont remplacés par le 1er violon. On perçoit déjà le « leitmotiv » (1) du thème représentant Parsifal, il est donné par la clarinette et se retrouve tout au long de l’opéra.

 

 (1) Leitmotiv- répétition d’une phrase ou d’un thème tout au long d’une œuvre. Exemple : « l’idée fixe » de la Symphonie fantastique » de Berlioz symbolisant « l’aimée ». On dit que  Wagner est le père de cette forme d’expression musicale (il l’emploie souvent dans ses opéras), en fait la paternité en revient à son beau-père Frantz Liszt.)

 

Si l’on reprend le contenu dramatique du passage de l’opéra, on peut retenir l’argument :

 

- C’est d’abord le couronnement du Roi du Graal, de Parsifal. Ce sont les ablutions sur ses pieds et sur sa tête, l’eau de l’oubli de ses fautes et de la poussière de la terre.

- C’est le sacre associé à l’huile sainte de la royauté, sa couleur rappelant celle de l’or, les reflets du soleil.

- C’est l’énergie nécessaire à la génération de la lumière.

- C’est ainsi que « le Fol et Pur » devient Roi et Prêtre de la communauté du Graal.

- C’est la dualité que Wagner va entretenir tout au long de son opéra, avec des personnages opposés mais complémentaires, pour que s’accomplisse ce qui est écrit.

- C’est une union ésotérique pour parvenir au « Parfait » et à la « Rédemption ».

 

N’oublions pas que Pâques suit dans le calendrier la première pleine lune de Printemps (le renouveau), que le Vendredi (jour de Vénus) Saint est dans la semaine précédant Pâques qui nous amène pour les croyants de la « Mort » à la « Résurrection ». La liturgie du Graal ne peut symboliquement être liée ni à la « Mort », ni à la « Résurrection », c’est le geste de Joseph d’Arimathie recueillant le sang de la blessure faite dans le côté du Christ.

 

C’est peut-être une longue explication, mais nous avons eu la chance d’entendre deux fois cette œuvre. La première me parut curieuse, non accomplie dans son interprétation, la seconde qui clôtura notre festival, tomba à point nommé dans une apaisante et méditative lecture pour nous amener à la « sublimation » de nos « quatre éléments ».

 

Quatuor N°14 OP 131 de Beethoven

 

Une des dernières compositions du musicien, qui était devenu complètement sourd, utilisant des « cahiers de conversation » pour s’exprimer, mais pour la musique, il l’entendait « dans sa tête ».

 

Pour citer Marcel Proust : « C’est l’œuvre de l’homme de génie elle-même qui en fécondant les rares esprits capables de les comprendre, les fit croitre et multiplier. Ce sont les quatuors de Beethoven 12,13,14 et 15 qui ont mis cinquante ans à faire naître, à grossir le public, réalisant ainsi comme tous les chefs d’œuvres un progrès sinon dans la valeur des artistes, du moins dans la société des esprits largement composée aujourd’hui de ce qui était introuvable quand le chef d’œuvre parut, c'est-à-dire être capable de l’aimer. Ce qu’on appelle la postérité, c’est la postérité de l’œuvre. »

 

Beethoven, c’est l’image prométhéenne du Commandeur érigé en modèle insurpassable.

 

J’aurais envie de lui donner pour titre : « Rêveries d’un promeneur solitaire » qui à travers les sept phrases qui le composent, pense à sa vie passée.

 

Je ne veux pas plagier Jean-Jacques Rousseau, mais les deux œuvres écrites avec cinquante ans d’écart, sont presque superposables. Les deux pensées tout au moins se rejoignent. Est-ce un besoin de vivre dans les souvenirs ?

 

1-     « Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même. »J.J. Rousseau se pose lui-même comme un vieil homme sans illusion, comme un homme apaisé.

2-     « Je ne puis m’empêcher de regarder désormais comme un de ces secrets du ciel improbable à la          raison humaine, la même œuvre que je n’envisagerais jusqu’ici que comme un fruit de la méchanceté des hommes. »

3-     « Je deviens vieux en apprenant toujours. » « La jeunesse est le temps d’étudier la sagesse ; la vieillesse est le temps de la pratiquer. »

4-     « Je me souviens d’avoir lu dans un livre de philosophie que mentir c’est cacher une vérité que l’on doit manifester. »

5-     « De toutes les habitations où j’ai demeuré (et j’en ai eu de charmantes), aucune ne m’a rendu si véritablement heureux et ne m’a laissé de si tendres regrets (…..), il m’eut suffi durant toute mon existence sans laisser naitre un seul instant dans mon âme le désir d’un autre état. (…..) Quand le soir approchait, j’allais volontiers m’asseoir au bord du lac, sur la grève, dans quelque asile caché, là, le bruit des vagues et l’agitation de l’eau fixant mes sens et chassant de mon âme toute autre agitation la plongeaient dans une rêverie délicieuse où la nuit me surprenait souvent sans que je m’en fusse aperçu. Le flux et reflux de cette eau, son bruit continu mais renflé par intervalles frappant sans relâche mon oreille et mes yeux suppléaient aux mouvements internes que la rêverie éteignait en moi et suffisaient pour me faire sentir avec plaisir mon existence, sans prendre la peine de penser. »

6-     « Que ce soit les hommes, le devoir ou même la nécessité qui commandent, quand mon cœur se tait, ma volonté reste sourde, et je ne saurais obéir. »

7-     « Me voilà donc à mon foin pour toute nourriture, et à la botanique pour toute occupation. »

 

 Proust, encore lui, dit : « Liszt, grand génie et l’inventeur de tout ce qui fait la gloire des autres, mais en ce moment, (…..) je préfèrerais le Beethoven de la fin. Il confiera à Jean Cocteau : «  A propos de Saint-Saëns je dois dire que jamais un musicien ne m’a autant emmerdé (Gounod dans « Faust » encore plus).

 

POINT DE VUE IMAGES……D’EUROPE

 

Un samedi inoubliable, les musiciens étaient totalement en « état de grâce », dignes des meilleurs, malgré la longueur bienveillante du concert. Brillantissimes ! On n’oubliera pas cette soirée chaude de l’été d’ici à longtemps dans l’harmonie du bruissement des arbres du parc.

 

Vocalise pour violoncelle et piano de Rachmaninov

 

Cette pièce fait l’objet d’interprétations diverses, à savoir, pour divers instruments solistes et même par la voix (référence à Nathalie Dessay) accompagnés au piano ou d’un orchestre. Les longues phrases poétiques du violoncelle nous inspirent à la méditation dans la pénombre d’un salon.

 

Rachmaninov était un homme complexe et complexé, sombre, ayant de gros problèmes psychologiques. Il écrira son deuxième Concerto pour piano et orchestre, le plus connu des quatre, sur les conseils de son médecin après une séance d’hypnose. Il avait une idée fixe : « La Mort », illustrée par le « Dies Irae ». On retrouve ce thème pratiquement dans toutes ses œuvres. Afin de mieux connaitre ce musicien, écoutez sa 2ème Symphonie, pleine de nostalgie, de la lumière de la steppe de la Russie, des « nuits blanches » de l’été au nord de son pays. Ecoutez aussi les « Variations sur un thème de Paganini » pour piano et orchestre où il passe de la gaîté au plus profond désespoir, dans la déconstruction de l’œuvre. C’est en fait une suite de variations dont celle du centre de l’œuvre est du plus parfait romantisme ( Il a fait preuve d’une astuce, à savoir qu’il a retourné les notes du thème initial, la fin au début en commençant par la dernière note pour arriver à la première, sur un tempo très suave.). Une autre œuvre incontournable « L’ile des morts », illustration musicale d’un tableau de Böcklin. 

 

Trio pour clarinette, violon et piano de Menotti

 

J’ai envie de donner à cette œuvre un sous-titre : « Les clowns »

 

Musique très proche de la sonate pour clarinette et piano de Poulenc.

 

Mélodie simiesque, clownesque, risible, sensible où la clarinette fait l’ »Auguste »

 

C’est un dialogue très appuyé entre la clarinette et le violon, le piano a l’air de jouer les trouble-fête. Il est là pour relancer les deux protagonistes. La tristesse du violon est cachée par l’engouement de la clarinette.

 

Cette œuvre rappelle l’argument de l’opéra de Ruggero Leoncavallo « Paillasse » où la vie d’un clown passe du rire aux larmes suivant les humeurs du moment au travers sous son masque blafard. Il est en même temps le clown blanc et l’auguste. La misère et la souffrance sont masquées par une joie factice. Nous sommes en plein « vérisme »

 

Autre comparaison, cinématographique, « La Strada » de Fellini, où le jeu de l’hercule Zampano, (Anthony Quinn), masque les larmes et la tristesse de Gelsomina qui joue de la trompette (Giulietta Massina), seul Il Matto le violoniste-poète sait parler à Gelsomina.

 

Le second mouvement fait penser à une prière.

 

Au troisième mouvement les pitreries recommencent faisant oublier les vicissitudes de la vie.

 

 Trio OP 50 pour violon, violoncelle et piano de Roentgen

 

Cette œuvre a des réminiscences brahmsienne, il annonce lui aussi les « impressionnistes » dans les couleurs.

 

Le premier mouvement évoque d’une manière martiale une lumière solaire, parfois atténuée dans la filtration des feuilles  d’arbres, dans des phrases longues et romantiques pointillées par le piano. Les sentiments du cœur éclatent jusqu’au paroxysme.

 

Le second mouvement est tout en mélancolie sur un automne vieillissant, chant du violon s’appuyant sur celui du violoncelle, à deux voix, avec variations des deux solistes où chaque instrumentiste s’exprime chacun à leur tour en répétant la même phrase, mais en y ajoutant chacun ses propres arguments. Parfois, une discussion à trois sur des phrases chromatiques décalées. Les deux cordes sont accompagnées par le piano qui reprend le thème. C’est encore une méditation de coin de feu.

 

Le troisième mouvement se développe sur une phrase alanguie mais brillante reprise tour à tour par les trois instruments. C’est là que l’on ressent le phrasé de Brahms. Nous sommes au bord de la Mer du Nord, l’eau à l’infini irisée par une lumière de couchant.

 

On retrouvera plus tard ce type d’écriture chez Fauré ou Chausson dans le quatuor OP35. Ce n’est pas de la « sous-musique », elle mérite même d’être rangée à côté de celle de Brahms ou de Dvorak, de Schumann dans une écriture claire, aux thèmes simples qui marquent notre mémoire.

 

Référence : Version Storioni Trio

 

NB : Julius Roentgen  est le cousin de Julius Klengel dont je vous recommande les Concerti pour violoncelle et orchestre. Disque CPO

  

Sonate pour piano, cor et violon d’Andrew Downes :

 

Je ne veux pas répéter ce que j’ai dit dans la présentation du compositeur et de ses œuvres.

 

La première phrase est très ravélienne, elle est l’épigone du thème de la sonate pour violon et piano. Elle prend ensuite un accent plus contemporain proche de Bartok, plus percutante, plus syncopée de mélodie d’Europe centrale. N’oublions pas que cette œuvre est de 2008 où toutes les inspirations sont réunies.

 

Dans le deuxième mouvement, le violon sert de faire-valoir à un cor très virtuose, la phrase est répétée, parfois à l’unisson comme dans une comptine.

 

Dans le troisième mouvement, on ne quitte pas l’univers de Ravel dans une longue cantilène du piano, puis du piano suivi du cor. Morceau au langage presque enfantin dans sa structure qui monte crescendo, ensuite rêveur, les « gouttes » du piano forment un arc en ciel  autour des deux autres instrumentistes dans une brume d’eau.

 

Dans le quatrième mouvement, le cor sort de son anonymat. On croirait entendre une prière répéter à l’infini, le violon fait preuve d’une grande dextérité sur une phrase scandée jusqu’aux limites de l’horizon. On revient à la méditation, calme, amenée par le piano suivie par le violon et le cor. Le violon rappelle sa phrase, les instrumentistes se répondent, c’est une redite dans la coda finale.

 

Il est dommage que le disque ignore cette œuvre, vous la retrouverez sur Youtube

 

Pour caractériser l’auteur, il est dans la grande tradition du chant choral britannique, pour cela, il a écrit plusieurs œuvres dont un « Magnificat ». Sa musique est très inspirée par la campagne anglaise comme chez Elgar ou Vaughan Williams : Symphonie N°2 ou le Concerto pour piano et orchestre.

  

Quatuor OP 76, dit « l’Empereur » de Joseph Haydn - 1797

 

On retrouve le « bon papa Haydn » dans un quatuor de construction classique en quatre mouvements.

 

Premier mouvement, tout en légèreté, très campagnard dans le sens pastoral, très gai avec des changements de tonalités passant du majeur (accent de la gaité) au mineur (accent plus sombre). On croit entendre les bruissements de feuilles, le coucou qui chante, son illustre, presque contemporain, Beethoven, s’en souviendra en 1805 dans sa Symphonie Pastorale. Le violon est prédominant comme dans tous ou presque des quatuors classiques, les trois autres interprètes servent de faire-valoir et ajouter des touches de couleurs.

 

Le mouvement se poursuit sur une « musette » paysanne, les musiciens imitant la vielle, le bourdon d’une cornemuse imitant un hautbois nasillard. On entend les « gros sabots » frappant le plancher d’une grange. Il ne faut pas oublier qu’Haydn était d’origine modeste, né à la campagne. Le mouvement se termine dans une phrase longue et rêveuse.

 

Deuxième mouvement, il va donner son titre au quatuor. C’est un hymne. Il deviendra ensuite celui de l’Autriche et il est toujours celui de l’Allemagne. Le thème est donné, il va subir de nombreuses variations, les deux violons, le violoncelle, l’alto qui vont « improviser » chacun à son tour, pendant que le thème sera joué par les autres sans altérations, quel parfait contrepoint. Ce mouvement se termine sur la phrase initiale, en majeur, puis en mineur comme à regret.

 

(Hymne impérial : « Dieu protège l’Empereur François »)

 

Troisième mouvement, menuet (dans la musique future, à commencer par la musique romantique, le menuet sera remplacé par le « scherzo »)  de la forme couplet-refrain avec une partie centrale entrecoupant cette belle construction par un « trio »(souvent à trois temps), puis reprise de la forme initiale.

 

Quatrième mouvement, on reprend la promenade pastorale avec des réminiscences du deuxième mouvement, un très long développement avec quelques broderies apportées par chaque instrumentiste.

 

NB : Haydn était franc-maçon, cette œuvre nous fait passer de l’ombre à la lumière, il reste aussi sous l’influence du « Siècle des Lumières ».

  

Octuor pour cordes OP7 de George Enesco

 

Composé en 1900, cet octuor est pratiquement contemporain à « La nuit transfigurée » de Schoenberg (1899), œuvre fétiche de nos musiciens.

 

Nous sommes immédiatement enveloppés par un thème amené par le 1er violon et l’alto dans un flot harmonique des autres cordes soutenant par des pizzicati ou de longues phrases les deux solistes.

 

L’ensemble de cette œuvre « hypnotisant » dans son intensité, va utiliser jusqu’à douze thèmes mélodiques. Le plus grand nombre d’entres eux seront présents dans la première partie. La deuxième

 

partie accrochée à la première sans interruption est démoniaque, tumultueuse, tourbillonnante, la troisième, sans pose est plus lyrique. Chaque instrumentiste prend « la parole » à son tour.

 

Très influencé par les chants d’Europe centrale, les interprètes ne jouent pas de leurs instruments, ils « chantent » l’instrument (tournure roumaine). Musique homogène, homophonique et polyphonique à la fois, musique purement « slave » aux accents langoureux et plaintifs. Les phrases sont sculptées par les différents solistes, mais surtout emmenées dans le tourbillon du dialogue du 1er violon et du 1er alto.

 

Après une longue méditation, on croit percevoir la joie, dans le halo sonore, qui finit par éclater et se disperser dans le frémissement des cordes basses, d’où surgissent les quatre violons à l’unisson et l’alto.

 

Cette œuvre nécessite un « chef d’attaque » représenté par le 1er violon dans l’osmose des autres interprètes qui vont prendre « la parole » les uns après les autres dans une cohésion sans faille. Ce ne sont pas deux quatuors réunis mais huit instrumentistes de grande classe. Ils s’écoutent comme dans le chant choral pour créer cette polyphonie où chacun est audible. Cela me fait penser à un Concerto Grosso baroque où le « concertino » (soliste) est représenté parfois par divers instruments dont le 1er violon en particulier, les autres instrumentistes formant le « ripieno ». Exemple : les quatre saisons de Vivaldi.

 

NB : Il existe une version CD de cet octuor, je ne vous la recommande pas, alors que, si vous voulez revivre notre soirée, allez sur « youtube » voir et entendre la version excellente, vivante, une apothéose, celle de Janine Jansen accompagnée par sept autres instrumentistes de grande valeur, elle vous transporte dans un autre monde sonore, vous y verrez et vivrez son charisme, son travail de chef d’attaque, au même titre que Nicolas avec nos musiciens – INOUBLIABLE SOIREE.

 

Fantasiestücke OP 73 pour clarinette et piano de Schumann

 

La musique caresse tout comme le Rhin le Rocher de la Lorelei chargés des mystères des contes de fées.

 

Elle est romantique et sombre, avec de longues phrases alanguies, à l’opposé de la musique de son frère épigone Brahms qui joue avec l’ombre et la lumière dans des transparences de couchers de soleil

de minuit.

  

Sonate pour alto et piano OP 120 N°2 de Brahms (1894)

 

En trois mouvements avec des césures entres les trois parties, ce qui donne une impression d’enchainements difficiles à saisir. Ce sont les tempi qui nous permettent de retrouver ces trois parties.

 

Brahms développe des sentiments retenus, des sons ronds, intimistes. Œuvre construite sur le système ABA, forme d’alternance des thèmes d’une première phrase A suivie d’une deuxième phrase B, ce qui permet des combinaisons type couplet refrain parfois avec variations. On peut relever dans le déroulement de l’oeuvre plusieurs thèmes écrits sous cette forme.

 

Cette sonate, écrite en fin de vie par Brahms où l’on retrouve à la fois le phrasé de Schumann et de Weber qui écrivit beaucoup pour la clarinette en y donnant beaucoup de son phrasé reconnaissable entres tous. On ressent tous les sentiments que l’auteur écrivait à Clara Schumann. Cette dernière n’était pas insensible, mais  restait fidèle à la mémoire de son mari décédé depuis 38 ans.

  

Cette œuvre me fait aussi penser au deuxième concerto pour piano et orchestre (1881) que Brahms, avec cette longue phrase sereine d’un second soliste inattendu, le 1er  violoncelle, au début et à la fin du troisième mouvement.

  

Frédérique nous faisait remarquer que cette sonate pouvait indépendamment être jouée à la clarinette ou à l’alto

  

Appel interstellaire pour cor d’Olivier Messiaen

 

La complexité de cette œuvre qui est tirée de la suite « Du canyon aux étoiles ». Elle réclame un grand interprète qui sait parfaitement maitriser son instrument dans toutes les possibilités et données toutes les nuances réclamées par le compositeur, claires, bouchées, trilles (comme une sorte de gazouillis). On ne doit pas oublier que Messiaen a écrit « le catalogue d’oiseaux » où il a répertorié à la façon d’un ornithologue, non pas les images mais les sons de la gent ailée, là, il imite d’une manière remarquable « l’Orioles de Bullock », oiseau très coloré de l’Amérique du nord. En même temps Messiaen nous fait un clin d’œil, car cet oiseau est une espèce loriot, or sa seconde femme s’appelle Yvonne Loriod.

 

En fait, ce qui caractérise cette pièce, ce sont des sons « couleurs », dans une gamme visuelle imaginée par Scriabine, et, pour les férus de cinéma, dans « La rencontre du 3ème type » de Steven Spielberg, le vaisseau spatial entre en dialogue avec le scientifique joué par François Truffaut.

 

Il faut tout de même se référer à ce qui a inspiré Messiaen. C’est au cours d’un voyage dans l’Utah, voyant le « Bryce Canyon », il eut une inspiration fulgurante.

 

De plus en tant que croyant, il s’est appuyé sur deux textes bibliques :

 

            Il guérit les cœurs brisés

            Et se lie à leurs blessures

            Il détermine le nombre des étoiles

            Et eux chaque appelle par son nom.

 

            O terre, ne couvre pas mon sang

            Peut mon cri jamais mis en repos.

 

            Job 16-18

 

            Ils crient ceux qui ont le cœur brisé

            Et il panse leurs blessures.

 

            Il compte le nombre des étoiles

            Il leur donne à toutes des noms.

 

            Psaume 146 (3-4)

 

En exergue, un texte d’Harry Halbreich, musicologue :

« C’est le plus long solo de cor se détachant dans le silence sidéral et l’un des moments les plus extraordinaires de l’œuvre. D’un point de vue technique, il y a ici des détails d’écriture instrumentale qui ont révolutionné le jeu du cor. Ainsi, cette pièce, séparée de son contexte, est elle devenue très vite un classique de l’instrument. »

  

Messiaen précise : « Les appels do cor tombent dans le silence. Dans le silence il y a peut-être une réponse qui est l’adoration »

 

NB : A écouter sur « Youtube » : Stephen Craigen ou Dylan Skye.

  

Sextuor N°1 OP 18 de Brahms – (1860), dit « Sextuor du printemps »

 

1er mouvement – Les violoncelles interviennent sur une longue phrase avec l’alto, ils plantent le décor, les inévitables panoramas de la mer du nord et cette sublime lumière qui les inonde. C’est aussi une déclaration d’amour dont la réponse est immédiate amenée par le deuxième thème, puis c’est l’unisson des instrumentistes.

 

Ces deux thèmes sont ensuite développés tour à tour par chacun avec introduction de pizzicati. Le mouvement se termine par une reprise du 1er thème réintroduit par le violoncelle. Les instrumentistes terminent  à nouveau sur des pizzicati.

 

Je pense que c’est un hommage à Schubert pour son quintette à 2 violoncelles. On y retrouve la même atmosphère. Un troisième thème, au violon sert de liaison avec les deux autres pupitres,                                               et parcourt tout le mouvement. Il se termine sur le 1er thème en pizzicati de tous les instrumentistes.

 

2ème mouvement – Thème présenté par les alti et les violoncelles puis les violons dans le registre grave. Une phrase « granitique », digne des plus beaux traits de Beethoven. Ce thème a été employé par Louis Malle pour son film « Les Amants »  en 1958.

 

 Arrive une série de variations reprises 2 fois par les différents pupitres intervenants.  :

 

            - Alti-violoncelles

            - Violons-alti (on y retrouve Schubert du 2ème mouvement du quatuor « La Jeune fille et la mort).

            - Violoncelles comme une déferlante de la mer.

            - Alti-violon dans un registre moins sombre

            - Alto imitant un « violoneux » sur un bourdon obstiné d’une corde à vide.

            - Reprise du thème initial par le 1er violoncelle, sur des pizzicati des violons, suivis par les accompagnements d’alti et des violoncelles.

 

3ème mouvement (scherzo) -  Danse à 3 temps dans une musicalité slave, le 2ème thème nous emmène dans une « bourrée » paysanne (trio) s’opposant au 1er thème, malgré son côté pittoresque, puis revient à une danse de salon.

 

4ème mouvement – Entrée du violoncelle dans une très belle mélodie avec reprise par le violon sur accompagnement d’alto. Phrase dans la joie, non pas dans la nostalgie, dialogue échangé de sentiments amoureux. 2ème thème plus acidulé allant jusqu’au paroxysme, puis s’apaisant, les violons et les violoncelles dialoguent en demi-phrases.

 

C’est le climax final effréné de l’alto repris par l’ensemble.

 

NB : Référence : Quatuor Prazak + Pietr Holmann et Vladimir Fortin (youtube).

 

TRANSMUTATION

 

Pendant des siècles les alchimistes ont tenté la « Pierre Philosophale », réalisé ce mélange du Feu, de la Terre, de l’Eau et de l’Air, dans la sublimation des éléments.

 

Cette année BWd12 est allé au bout de sa mission, réussi cette amalgame tant désiré, obtenir la « soupe primordiale » ou, comme le disait Rimbaud « l’alchimie sonore », l’alchimie du verne comme dans « Une saison en Enfer ». Le Grand Œuvre est accompli et ceci grâce aux musiciens de grand talent qui ont su faire la symbiose entre deux genres de musiques, jazz et classique, et nous faire

  

découvrir « l’eau lustrale » de la mer chez Schreker  ou « la spiritualité » dans « L’Enchantement du Vendredi Saint » et « L’Appel Interstellaire ».

 

Mentions particulières à nos solistes principaux : Frédérique, bien sur pour ses prestations et ses textes de liaison dits avec l’humour qu’on lui connait, Nicolas et son « violon magique », Antoine, Flor-Anne, sans oublier tous les autres, sans eux, nous n’aurions pas vécu tous ces grands moments de plaisir.

  

CONCLUSIONS

 

Si j’ai vu souvent des images dans les diverses pièces jouées, ce n’est pas que le fruit de mon imagination, chacun se créant son propre imaginaire. Ce n’était pas de la musique dite « à programme » (ayant un argument comme dans la « Symphonie Fantastique de Berlioz) ou des poèmes symphoniques (qui illustrent une histoire comme dans « Ma Patrie » et plus particulièrement « La Moldau » de Smetana, ou les dernières œuvres de Dvorak comme « Le rouet d’Or »). Le grand spécialiste de ce type d’expression  fut une fois de plus Franz Liszt.