« La musique qui me touche c’est celle que je peux retenir »

 

Ce n’est pas toujours vrai car les harmonies complexes font souvent frissonner, le phénomène se renouvellera au même passage quand on l’entendra à nouveau plus tard. Il n’est pas nécessaire d’être musicien, interprète ou lecteur de partition musicale pour apprécier la qualité de telle ou telle musique. Il n’est pas nécessaire, non plus, qu’elle soit descriptive dans le sens pictural, les images nous nous les créons nous même, sans guide, sans titre, sans explication préalable, ce ne sont que des impressions fugaces, au départ, qui deviennent indélébiles par la suite et qui provoquent aux mêmes moments, les mêmes effets comme lors de la première écoute. C’est le phénomène de la découverte.

 

Une œuvre, qu’elle soit picturale, musicale, littéraire, provoque le refus ou l’acceptation soit en demi-teintes, soit totale. Notre écoute est comme le regard vis à vis de l’inconnu. Nous nous trompons parfois, l’enthousiasme ou le repli sur soi sont mauvais guides. La démarche et l’effort sont là pour nous aider. Pourtant, malgré nous, nous restons trop souvent imperméables à toutes sensations nouvelles. Nous ne sommes pas prêts. C’est notre libre arbitre. Il faut nous éduquer, pour être, parfois, convaincu, c’est un travail sur soi et de longue haleine. Notre état d’esprit du moment intervient dans l’acceptation ou le rejet. Nous nous trompons nous-mêmes de ne pouvoir franchir le pas, de bloquer face à l’obstacle.

 

 Il nous faudra, sans en être forcé, réviser notre jugement. La réflexion et le temps sont là pour nous y aider. Nos sentiments, vis-à-vis de l’inconnu, sont comme le vin, il faut qu’ils reposent, dans la pénombre de notre cerveau, sans brusquerie, il est nécessaire de les surveiller, les éveiller dans la progression de la maturité. Trop tard, ils sont « bouchonnés » ou prennent un goût amer, irréversible. Nous avons laissé passer le temps, notre esprit est ailleurs, ils sont dans les regrets ou les remords. Nous nous sommes aussi précipités sur ce qui est dans l’air du temps, dans nos humeurs du moment, pour être parfois à la mode ou dans une découverte qui nous est inspirée par les médias, les relations, l’engouement. Nous ne pouvons pas tout connaitre, car où serait le plaisir de cette découverte ? Il nous faut compter sur la curiosité, l’audace de faire un pas vers l’inconnu. C’est parfois la surprise ou le dépit.

 

Si je regarde en arrière pour y apercevoir ma progression dans la connaissance des compositeurs et des œuvres, j’ai fait parfois des sauts incommensurables ou des piétinements dans un confort qui m’agréait. La découverte m’épouvantait, j’avais des à prioris sur lesquels je refusais de revenir ou des assertions caduques non étayées. Je crois être passé par un chemin classique qui partait de Mozart pour parvenir aux œuvres romantiques du 19ème siècle. Avant c’était le néant, la genèse, après, le chaos.

 

J’ai en mémoire un exemple au moins qui en est le reflet. Au cours d’un concert, le Quatuor Parrenin a interprété le  Quatuor Américain op 96 de Dvořák pour lequel je m’étais principalement préparé, mais aussi un Quatuor de Bartók. Pour ce dernier ce ne fut pas une découverte, mais une souffrance à cause de cette musique ressentie inharmonique et de voir les exécutants grimaçant face à leur partition. Combien d’entre nous réagissent de cette façon lorsqu’ils (elles) rencontrent une œuvre inconnue surtout si elle s’éloigne des formes habituelles ?

 

Je reconnais qu’il m’a fallu du temps pour aborder certains musiciens. Bach, entre autre était pour moi un compositeur pour « exécutant », non pas pour auditeur. Les musiciens « baroques » n’étaient que des fac-similés ou des hologrammes de Vivaldi pour lequel je n’avais pas une grande admiration sauf, à l’époque, pour les « Quatre Saisons ». Au risque de faire sursauter beaucoup de mélomanes, Mozart, je le trouvais et le trouve toujours répétitif, je ne dis pas qu’il manque de génie, mais sa musique ne me touche pas.

 

Mes « angoisses », aujourd’hui viennent de la musique contemporaine, je ne la saisis pas, trop dissonante, trop savante peut-être, car je crois savoir qu’elle s’appuie souvent sur des formules mathématiques aléatoires la plupart du temps qui dépassent mon entendement et mon écoute. Est-elle la conséquence de notre époque qui vit dans un brouhaha incessant sans tenir compte du silence ?

 

Notre perception est formatée par l’écoute de multiples ouvrages de l’époque classique et romantique avec un déroulé non pas naturel, mais savamment organisé, ré-exposition, développement, subtiles modifications dans lesquelles notre oreille et notre cerveau reconnaissent un thème qui finalement s’impose à nous. Ces repères auditifs nous rassurent et nous permettent une circulation dans l’œuvre sans éprouver l’impression d’être perdu dans un apparent fouillis.

 

Est-ce qu’à chaque siècle les mêmes problèmes se sont posés ? Tout ce qui était nouveau était à fuir ou du moins poussait à la perplexité devant des ruptures avec ce qui précédait. Je crois pourtant en une sorte d’évolution progressive qui nous a fait connaitre Debussy, Ravel, Stravinsky, etc.

 

Les moyens modernes nous ont permis de connaitre d’autres cultures qui apportent d’autres façons de raisonner. Mais rien ne vaut le contact direct avec une création musicale au cours d’un concert plutôt que par l’intermédiaire de la radio, du disque ou de la vidéo. C’est une histoire sans fin, c’est aussi un autre plaisir de la découverte.  

 

Ne sommes-nous pas d’abord sensibles à notre musique française ? Immergés dans un bain de culture que le système éducatif nous a plutôt inculqué en déclarant trois peuples musicaux, les pays germaniques (Allemagne et Autriche), l’Italie, la France, n’avons-nous pas tendance à négliger la musique venant d’autres régions de l’Europe, sans compter celle, multiple, des autres continents.  

 

La vie ne se manifeste-elle pas comme une suite d’actes parfois mystérieux ? Pourquoi à une période donnée réagissons-nous positivement à un ouvrage musical alors que quelques mois où quelques années auparavant notre sensibilité n’avait pas bougé à l’écoute de cette même œuvre ?

 

Des œuvres récentes, les musiciens de BWd12 nous en proposeront lors du prochain festival en août. Les entendre en direct, interprétées avec ferveur, devrait nous amener à tenter de les apprécier ou pour le moins de ne pas les refuser. Des compositeurs comme Henri Dutilleux (1916-2013), Krzysztof Penderecki (né en 1933) ou encore Grazyna Bacewicz (1909-1969) et Dmitri Chostakovitch (1906-1975) ont participé à la vie de la musique contemporaine à travers leur parcours pas toujours linéaire. Dans leur pays, la France, la Pologne, l’URSS, avec plus ou moins de difficulté, ils (et elle) ont laissé des témoignages de leur geste créatif. Chacun d’entre nous doit pouvoir apprécier modérément ou de façon plus enthousiaste au moins une de leurs productions, en partie ou en totalité. Il est certain que Frédérique, par sa présentation, nous encouragera à une écoute attentive et bienveillante. De ces quatre compositeurs, au moins trois ont marqué à des titres divers les courants musicaux divers qui se sont exprimés dans la deuxième moitié du XXe siècle et même un peu au-delà pour les deux premiers nommés. Pour chacun d’entre nous, il sera difficile de retenir un thème précis, mais probablement sera-t-on sensible à l’atmosphère, au climat, aux couleurs ou à des rythmiques un peu particulières, portes d’entrée dans leur univers musical, sources de plaisirs futurs lors d’écoutes ultérieures de leurs œuvres.

 

Raymond Servant avec la collaboration de Joseph Colomb

 

 



 

2016 Le grand oeuvre : une étude du programme, par Raymond